
La guerre du renseignement pendant la Seconde Guerre mondiale est assez bien connue, parce que les ouvrages qui s’y rapportent – témoignages ou études historiques – sont légions. Encore s’agit-il principalement de titres consacrés au recueil de renseignement par voie humaine. Les livres, dont la thématique est le recueil du renseignement d’origine électromagnétique, sont en revanche beaucoup plus rares. Saluons donc la parution de Les écoutes radio dans la Résistance française 1940-1945.
Après dix ans de recherches et l’obtention d’une thèse, François Romon nous propose de retracer le parcours de cinq valeureux Français, dont trois ne survivront pas à la guerre. Notons que l’auteur est certes historien, mais qu’il est aussi (et surtout) fils du lieutenant-colonel Gabriel Romon, officier des services techniques des Transmissions, résistant arrêté fin 1943 par la Gestapo et « mort pour la France » l’année suivante.
Les écoutes radio dans la Résistance française 1940-1945 est intéressant à plus d’un titre. En effet, son auteur a consulté de nombreuses archives privées, dont celles de sa propre famille. Voici donc ce qu’il est convenu d’appeler « une étude autorisée », sur un sujet qui pourrait apparaître, de prime abord, comme passablement technique. Or, il n’en est rien… Dans un style clair qui rend son récit facile d’accès et attractif, François Romon raconte la création du Groupement des unités d’écoute et de radiogoniométrie (15 mai 1940), puis brosse le parcours de cinq officiers polytechniciens, diplômés de la Section radioélectricité de l’École supérieure d’Électricité. Pendant la campagne de France, ces spécialistes confirmés se livrent aux écoutes radioélectriques et à celles des transmissions de l’adversaire. Mais la défaite est rapidement consommée… Patriotes, ces officiers vichystes vont choisir de s’enfoncer dans la clandestinité au moment de Torch pour entrer en résistance. C’est alors que Gabriel Romon, chef d’un réseau qu’il a constitué, intègre ce dernier à « Alliance ». Romon exerce alors des responsabilités de plus en plus importantes au sein de l’Armée secrète. Progressivement, son réseau assure la liaison de commandement au sein de la résistance intérieure. Mais il s’oriente aussi – en toute indépendance vis-à-vis de la France Libre – vers le recueil de renseignement militaire au profit des Alliés. Et c’est également pour ce point précis que ce livre mérite d’être signalé : il montre que la résistance à l’occupant n’était pas l’apanage des réseaux affiliés au fameux « colonel Passy » de Londres, mais que des officiers de l’armée d’Armistice s’y sont également livrés au péril de leur vie (rappelons que vingt-trois membres d’ « Alliance » seront fusillés par les Allemands). Certes, pour ceux qui s’intéressent au renseignement militaire français pendant la Seconde Guerre mondiale, on ne peut parler de découverte… Les récits du colonel Paul Paillole, la publication des carnets du général Louis Rivet (ou encore des études plus récentes, comme Guerre des services spéciaux en Afrique du Nord) ont battu en brèche certains discours tendant à asseoir la thèse selon laquelle la Résistance n’était « que » gaulliste. Pour les néophytes en revanche, nous dirons qu’il est urgent de lire Les écoutes radio dans la Résistance française 1940-1945. Nous conclurons en affirmant que cet ouvrage ne peut que satisfaire un large public, allant des passionnés d’ouvrages traitant de la guerre secrète, en passant par ceux que l’utilisation de la technique à des fins militaires fascine.
Lieutenant-colonel Olivier Lahaie
Revue historique de l’armée – 2ème trimestre 2017
Prix Philippe Viannay / Défense de la France 2017
Préface de Laurent Douzou
C’est la première fois qu’une étude historique est publiée sur la résistance menée par les transmetteurs des services techniques, homologuée à la Libération en tant qu’action des Forces françaises combattantes. Cette action des transmetteurs n’était jusqu’à présent que très peu évoquée par les historiens et toujours de façon décousue, seulement comme incidente d’autres actions de résistance comme le décryptement d’Enigma et la « Source K », alors qu’il s’agit bien d’une résistance pensée, coordonnée et dédiée à un objectif parfaitement identifié et pertinent : le renseignement militaire au profit des états-majors de la France libre et des Alliés. Gabriel Romon, Paul Labat, Marien Leschi, Edmond Combaux et André Mesnier, les cinq officiers transmetteurs qui incarnent cette résistance, sont tous polytechniciens, diplômés de la même section radioélectricité de l’École supérieure d’électricité. Toujours secrètement officiers de l’armée de terre mais officiellement devenus ingénieurs des PTT, ils ont agi dans différentes structures, généralement étudiées séparément : les services de renseignement camouflés de l’armée d’armistice, la résistance des PTT, l’Organisation de résistance de l’armée (ORA), l’Armée secrète, les réseaux de la France libre, le réseau Alliance. Ces transmetteurs qui ont intercepté les messages radio de l’occupant allemand sont les précurseurs des « grandes oreilles » de la Direction générale des services extérieurs (DGSE) d’aujourd’hui ; ils ont participé à la création du Centre national d’études des télécommunications (CNET), véritable creuset des technologies de France Télécom.
- Éditeur : Nouveau Monde Editions (26 janvier 2017)
- Langue : Français
- Broché : 512 pages
- ISBN-10 : 2369424818
- ISBN-13 : 978-2369424819