Témoignage de Louis Lemaire (Setter) – 24 août 1946

Le rapport que nous vous présentons ci-après a un intérêt historique, mais nécessite une petite mise au point. Il comprend des sous-entendus quand au comportement de Marie-Thérèse KAUFFMANN et de son mari le colonel Edouard KAUFFMANN.
Analysons ces propos.

On peut comprendre que lors de la venue de la Gestapo chez lui, Monsieur LEMAIRE ait été choqué et soit tombé dans un piège, habituellement pratiqué, des Allemands dont la profession était l’interrogatoire. Mais à la lecture attentive de ce rapport, on s’aperçoit que les conclusions ne sont fondées que sur des suppositions.
Monsieur LEMAIRE n’était pas informé du poste du colonel KAUFFMANN au PC lui-même. Il sous-estimait ainsi le rôle du colonel parce qu’il ne le connaissait pas et ne savait pas non plus ce qu’il faisait dans le réseau : l’un des grands dirigeants d’Alliance.
Son opinion ne s’appuie que sur une rumeur de comportement à Beaulieu, mais il n’y était pas, ne décrit pas cette réunion, et on ne sait pas qui lui a rapporté un ragot qu’on ne connait pas non plus.
On ne peut qu’en conclure à une opinion personnelle fondée sur un ragot.

Quant à Madame Marie-Thérèse KAUFFMANN, la Gestapo donne son nom, ce qui influence Monsieur LEMAIRE : si on donne ce nom, la source de ses ennuis vient d’elle ! Là encore, conclusion hâtive et piège de la Gestapo qui sait prêcher le faux pour savoir le vrai.
En fait, la Gestapo a en effet arrêté Madame KAUFFMANN à Rivaux (Sarlat) qui fit deux ans de camps de concentration en Allemagne dont le camp de Ravensbrück, sans qu’on entende parler d’arrestations dues à une faiblesse de sa part. Puis le Gestapiste sort un carnet. Le rapprochement est volontaire et Monsieur LEMAIRE tombe dans le piège. Il en conclut trop rapidement que le carnet a été donné aux Allemands par Madame KAUFFMANN…
Mais à aucun moment la Gestapo ne dit que Madame KAUFFMANN a parlé, ni que ce carnet a été retrouvé chez elle, ni qu’elle l’ai donné ! Ce n’est que la conclusion d’un homme qui s’apprête à être arrêté, donc fragile émotionnellement. Sa conclusion est dirigée, mais ce n’est pas celle que la Gestapo prononce. Elle fait habilement son travail.

En fait, la famille KAUFFMANN a par la suite analysé elle-même la situation et ses conclusions sont les suivantes :
–    M. LEMAIRE ne connaissait ni le colonel KAUFFMANN, ni sa femme. Il n’est jamais venu à Rivaux et ne sait rien des postes et responsabilités que sont les leurs.
–    Il se laisse guider insidieusement pas les propos de la Gestapo et, alors que le gestapiste ne fait que laisser entendre, LEMAIRE dans son ignorance tombe dans le piège. S’il avait connu les époux KAUFFMANN, la Gestapo espère qu’il parlera et aidera ainsi les Allemands dans leur recherche des résistants du réseau. Heureusement, son ignorance ne servit pas la Gestapo.
–    Quand on connait la résistance physique de Madame KAUFFMANN et son caractère bien trempé (grâce auxquels elle a résisté pendant deux ans dans des camps allemands, en sauvant des déportés qui abandonnaient la vie pour préférer la mort), on ne peut croire à une telle version. Madame KAUFFMANN aurait supporté toutes les tortures avant de s’effondrer, et même au bout du bout, elle ne l’aurait pas fait. Les témoins sont légions (famille, amis, réseau, etc..).
–    Quant aux renseignements obtenus pour que la Gestapo aille chez LEMAIRE, on sait maintenant que des espions, tels que LIEN, avaient déjà donné à l’Abwehr des informations sur le réseau.
La Gestapo avait pour habitude de ne pas s’enthousiasmer à la première information. C’est donc après des recoupements d’informations diverses que LEMAIRE fut reconnu et non un simple entretien avec Madame KAUFFMANN qui, en outre, ne le connaissait pas.
–    Enfin le carnet est évidemment soit un faux, soit écrit par quelqu’un de peu informé de la réalité.
D’abord, il n’existait pas, au niveau du PC, de carnet. Tout était codé ou dans la mémoire des individus. Comment donc une femme aurait-elle pu avoir un carnet avec une liste de noms qu’elle ne connaissait pas ? Car Madame KAUFFMANN ne savait presque rien du réseau et de ses membres, son époux prenant garde, comme avec ses enfants, de ne rien dire, et encore moins de donner des noms. Les gens qui passaient à Rivaux restaient tous inconnus. Et il en a eu des dizaines, voire des centaines.
Ensuite, s’il s’agissait d’un carnet retrouvé à Rivaux dans la maison familiale, ce n’aurait pu provenir que de la main du colonel, ce qui est impensable quand on connait les règles que le colonel faisait lui-même appliquer à tous les membres recrutés par lui. Quel professeur ferait une faute aussi énorme alors qu’il l’interdisait à ses élèves ?
Et aurait-il écrit « Meric » et non « Mérique » ! 
Et pourquoi l’écrire dans un carnet alors qu’il voyait Marie-Madeleine Méric constamment ? Aurait-il eu des trous de mémoires à ce point ?
Evidemment non. Ce n’est donc pas de sa main.

Par contre, la réponse vient peut-être d’une remarque contenue dans ce rapport. Il existe bien une personne dont nous n’avons pas retrouvé le nom, appelé « BRAQUE », et qui connaissait la famille KAUFFMANN et M. LEMAIRE : ce lien entre les deux est l’entrepreneur lui-même. 
Ce lien apparaît déterminant.
Comment la Gestapo a-t-elle pu atteindre M. LEMAIRE ? Madame KAUFFMANN ne le connaissait pas, et son adresse encore moins. On ne le saura probablement jamais. Mais le fait est là : la Gestapo le connaissait. De qui ? Certainement pas des époux KAUFFMANN.
La réponse est peut-être donnée par l’entrepreneur : comment la gestapo a-t-elle eu connaissance de l’existence de BRAQUE ? Elle le connait puisqu’elle en parle. « BRAQUE était le surnom de François MARTY. Il avait été arrêté par la Gestapo et, sans incriminer ce résistant, c’est un lien avec Lemaire qui aurait pu conduire les Allemands à s’interroger sur ce dernier. On peut aussi remarquer que MARTY ne faisait pas partie du groupe du colonel KAUFFMANN et les Allemands, qui avaient arrêté Madame KAUFFMANN précédemment. Il n’en savait donc pas beaucoup sur les époux KAUFFMANN. Les Allemands, comme à leur habitude, ont pu sciemment mélanger les cartes pour tenter d’avoir en main des cartes gagnantes. Louis LEMAIRE n’avait pas les règles du jeu mortel, celui du poker menteur. »

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