Au début d’août 1943, le docteur LALLEMAND rencontre dans le train Jean SAINTENY qui lui demande de lui désigner, pour Cherbourg, un agent sérieux, discret, insoupçonnable. Quelques jours plus tard, il remet à Jean SAINTENY une lettre destinée à l’inspecteur de police Alphonse LANGE alias « Chétostome », originaire de Couvains.
La missive, portée à son destinataire par Jean TRUFFAUT, indique de faire bon accueil et toute confiance au porteur. Alphonse LANGE accepte les missions que lui confiera l’agent de liaison. Les contacts entre TRUFFAIT et LANGE (Chetostome) sont fréquents et exactement minutés. Le nouvel agent transmet toutes précisions sur l’activité du port, les mouvements de troupes, et est chargé d’assurer la protection des membres du réseau.
C’est au cours d’une visite médicale professionnelle qu’Alphonse LANGE fait la connaissance du docteur Jack MESLIN ils comprennent qu’ils appartiennent tous deux au même groupe et que leur activité est couverte par le sous-préfet Lionel AUDIGIER, ce qui détermine le nouvel agent à persévérer.
Pour mieux surveiller la rade de Cherbourg, Alphonse LANGE a fait connaissance. par l’inspecteur de police Georges ALLIX, de plusieurs pilotes qui consentent à l’embarquer afin qu’il puisse reconnaître les chenaux d’accès exempts de mines.
Le poste émetteur du réseau, confié à René LESEIGNEUR et à son opérateur André Marcel LEBOULLENGER étant en panne, est remis au Docteur Jack MESLIN qui alerte au début de janvier Alphonse LANGE (Chetostome), inspecteur de police, en le priant de venir à son cabinet pour » retirer son ordonnance « . Le Docteur MESLIN, fortement soupçonné par la Gestapo, estime que le poste sera mieux en sécurité au domicile d’un fonctionnaire de la police. LANGE emporte donc chez lui la valise contenant l’appareil et deux cartes d’état-major qu’il dissimule sous son lit. Vers la fin de janvier, mission lui est donnée par Jean TRUFFAUT (Tadorne) de se rendre à Brix, près de l’église, où il devra remettre la valise à un agent du réseau dont il lui donne le signalement. (C’était André LEBOULLENGER (Hocco), spécialiste de radio.) Il devra surveiller le secteur jusqu’à 21 heures et reprendre la valise. La mission est accomplie sans encombre.
Le 20 février, Jack MESLIN (Le Vairon) lui demande de se rendre rue des Halles à Cherbourg où, à 11 heures, il doit remettre à Jean TRUFFAUT la précieuse valise. Mais Jean TRUFFAUT ne se trouvant pas au rendez-vous, LANGE la confie à un ami L. MAJOR, tenancier d’un café tout proche, qui en ignorait le contenu.
Le 13 mars, Jean TRUFFAUT, agent de liaison avec le réseau parisien, part en mission en fixant avec HAUGMARD son retour au vendredi 17 mars.
On ne reverra plus ce jeune chef de 22 ans ! Arrêté le 14 mars à Paris, il est déporté avec 107 autres membres du réseau au camp d’extermination du Struthof (498) où il est abattu avec ses compagnons dans le massacre de la nuit du 1er au 2 septembre 1944.
Sur ordre de Jack MESLIN, ignorant cette arrestation, Alphonse LANGE se rend le 17 mars au rendez-vous fixé antérieurement, à 11 heures, rue des Halles, par Jean TRUFFAUT, qui devait rapporter de Paris de nombreux quartz pour le fonctionnement du poste émetteur. Dès son retour dans l’après-midi, au poste de police, il est arrêté nais grâce à deux policiers français, LEYMARIE et AUBREE, il peut faire prévenir MAJOR de se débarrasser au plus vite de la valise qu’il lui avait confiée. Ce qui fut fait immédiatement. Le poste sera caché le jour même par MAJOR à son lieu de refuge de Saint-Martin-le-Gréard, enfoui dans le jardin et remis à la police française, après la libération de Cherbourg.
Plusieurs membres du réseau sont arrêtés ce même jour : le docker Eugène CAUVIN (Léonard) qui renseignait le réseau de Port-en-Bessin. sur les mouvements des vedettes allemandes de Cherbourg. Roger LAULIER, Jack MESLIN, Alphonse LANGE, André LEBOULLENGER, René LESEIGNEUR, à Brix, Raymond HAUGMARD à Carentan, le docteur PHILIPPE à Saint-Lô. Le lendemain 18 mars, le sous-préfet de Cherbourg, Lionel AUDIGIER, et le 30 mars, André CONARD à Agon. Transférés à la prison de Saint-Lô, LAULIER, MESLIN, AUDIGIER, LESEIGNEUR périront sous le bombardement de la nuit du 6 au 7 juin 1944.
Extrait du livre » Les victimes civiles de la Manche » où LANGE témoigne:
Alphonse LANGE, prisonnier-résistant, se souvient : dès les premières lueurs, quand j’ai compris qu’on allait être bombardés, j’ai crié aux autres prisonniers de se mettre dans les angles de la pièce. Quand tout s’est effondré, je me sus retrouvé coincé dans l’angle de la porte du couloir. Je hurlais. Le Docteur Philippe a crié : il faut dégager LANGE, il va mourir ! À ce moment là, une explosion a tout fracassé de nouveau, des pierres me sont tombées dessus ; j’avais la figure en sang, les lunettes étaient écrasées mais j’étais dégagé. Alors j’ai aperçu dans les gravats Lepeltier, une jambe coincée. J’ai voulu le secourir mais il m’a crié : non va t’en ! Avec la tête que tu as, tu vas mourir. C’était l’enfer. Les rares survivants agonisaient auprès des morts, dans l’enchevêtrement des pierres, des poutres et des lits de fer tordus. Laulier est mort près de moi. Audigier a été tué par une poutrelle métallique, Deffes est mort le ventre ouvert. Des 16 de la cellule n° 5, nous n’avons été que 4 survivants : le Docteur Philippe, Lepeltier, Leboulanger et moi. Les bombes avaient tout défoncé, la porte communiquant avec le palais de justice, avait été soufflée. je me suis engouffré dans le passage et me suis retrouvé sur la place dévastée « .
Au total, 352 Manchois sont morts à Saint-Lô pendant les bombardements 6 et 7 juin. parmi eux, 326 étaient domiciliés à Saint-Lô.
C’est la fin, pour le département de la Manche, d’un des plus prestigieux réseaux de renseignements de la France occupée.
SOURCES : http://beaucoudray.free.fr/