Jeannie Rousseau (Amniarix) – Druides

Jeannie de CLARENS alias « Amniarix » du sous réseau « Druide », née ROUSSEAU  le 1er avril 1919 à Saint Brieuc est la première résistante connue à Dinard.

Après la première guerre mondiale dans laquelle il a combattu, son père, Jean Rousseau, a été haut fonctionnaire au ministère des affaires étrangères pour lequel il a effectué de nombreux voyage au Proche Orient. Ce qui explique probablement que sa fille parle plusieurs langues dont couramment l’allemand.

Après de brillantes études elle a aussi obtenu un diplôme de sciences politiques. En mai 1940, après la débâcle Paris se vide et son père décide de quitter la capitale occupée. Jean Rousseau était un civil français serviteur distingué, qui avait combattu durant la première Guerre Mondiale (pas un héros, mais un soldat solide), plus tard il voyagea au Proche Orient pour le ministère des Affaires Etrangères. Jeannie était sa fille unique, et dans ses souvenirs, il ne lui parla pas avant qu’elle ait 12 ou 13 ans, lorsqu’il s’aperçu qu’elle avait quelque chose d’intéressant à dire. Après la fin de son service dans le civil, il fut élu maire du XVII° arrondissement un quartier chic près de l’Arc de Triomphe où la famille avait un appartement rue Jauffroy (17e arrondissement de Paris).

Lors de l’invasion allemande de juin 1940, Monsieur Rousseau décida (d’une façon très naïve et très française) de transporter sa famille et les archives de l’arrondissement  vers le village côtier de Dinard près de St Malo – où il croyait que les Germains n’arriveraient jamais. Mais les troupes nazies arrivèrent bientôt par milliers, préparant une invasion probable de la Grande Bretagne. Le maire de Dinard qui était le voisin de la famille Rousseau, cherchait désespérément  quelqu’un parlant allemand qui serait susceptible d’assurer la liaison avec le commandement allemand. Rousseau désigna sa fille. (Elle ne souhaitait rien d’autre que servir, c’est ce que son père déclara au maire). Walther Von Reichenau, commandant de la 6ème armée y a installé son Quartier Général. Le lendemain matin, revêtue de son vêtement bleu le plus austère et d’un corsage blanc, elle alla rencontrer les officiers allemands. Ils furent charmés par sa compagnie, ils lui offrirent des cadeaux et des promenades sur la plage. Elle refusa tout.

Les Allemands voulaient être appréciés, “ se souvient-elle.” “Ils étaient heureux de parler à quelqu’un qui pouvait leur répondre. “Et pour parler, ils ont parlé – des noms, des chiffres, des plans, toutes choses que ces hommes d’un certain âge ont évoquées imprudemment en présence de cette jolie jeune femme qui parlait si bien l’allemand. (Elle s’arrête pour réfléchir : “ A cette époque, je parlait si bien que je pouvais passer pour une Allemande. Mais ça n’est plus le cas aujourd’hui. Je ne sais plus un mot maintenant. N’est ce pas étrange ?”)

Un jour de septembre 1940 un homme de la ville voisine de St-Brieuc vint me rendre visite. Il m’a demandé si je voulais bien transmettre des informations sur ce que j’entendais lors de mes rencontres avec les officiers allemands. Sa réponse, alors fut la même que plus tard, automatique. “ J’ai dit “ Quel intérêt de savoir tout ça, si ce n’est pour le transmettre ?” Dès cette époque, elle communique toutes les informations qui peuvent être utiles pour connaître les projets et les préparatifs de l’occupant.

Bientôt les Britanniques reçurent tant de renseignements sur les opérations allemandes dans la région de  Dinard que les espions allemands à Londres soupçonnèrent la présence d’un agent bien placé sur place.

Jeannie fut arrêtée par la Gestapo en janvier 1941 et mise en prison à Rennes. Un tribunal militaire allemand examina son cas, mais les officiers de Dinard insistèrent pour la faire libérer, car leur charmante traductrice ne pouvait pas être une espionne. Ainsi elle fut libérée. Sa seule peine fut une obligation de quitter la côte. Son père voulut savoir ce qu’elle avait fait. “ Rien Papa, “ répondit-elle. “ Je n’allais pas lui en dire plus que ce que j’avais dit à la Gestapo, et bien entendu, il m’a crue. “De retour à Paris fin 1941, Jeannie devient secrétaire dans un bureau de relations publiques, chargé de faire le lien entre l’occupant et les industriels français.

En 1942, elle est recrutée par Georges Lamarque, « Petrel » dans le « réseau Alliance » qui dirige le sous réseau de renseignement « Druides » et qui sera fusillé par les Allemands en 1945. Son nom de code dans le réseau « DRUIDES » est : AMNIARIX.

Alors Jeannie partit immédiatement pour Paris. Elle avait appris une leçon essentielle à propos de l’espionnage cela paie, d’écouter.

Maintenant, elle était à la recherche d’un nouveau travail qui lui donnerait accès à des informations sensibles, “un travail qui m’introduirait dans la gueule du loup, c’est là que je voulais aller”. Assez vite, dit elle, “ j’ai trouvé un travail intéressant” Le syndicat français des industriels, une sorte de chambre nationale de commerce, avait besoin d’un traducteur dans ses bureaux de la rue St-Augustin. Jeannie obtint le poste et devint bientôt un membre important du personnel de l’organisation. Ce qui signifie qu’elle rencontrait régulièrement des membres de l’état-major allemand basé à l’hôtel Majestic. Elle rencontrait les Allemands presque chaque jour pour traiter de dossiers commerciaux. Des plaintes à propos des inventaires commandés par les Allemands, des offres pour vendre des marchandises stratégiques comme l’acier, le caoutchouc aux Allemands. Elle accumulait une grande quantité de renseignements de base, mais en pure perte (« J’accumulais des noisettes comme l’écureuil, mais je n’avais pas de moyens pour transmettre mes renseignements.”).

« L’occasion est venue avec ma rencontre fortuite avec Lamarque dans le train de nuit ». Sur une photo de l’époque, Jeannie paraît bien plus jeune que son âge. Petite et souple, plutôt une fille dégourdie qu’une femme sophistiquée. Mais il y a de la force dans son regard, le goût du risque. Lamarque était plus âgé qu’elle, 28 ou 29 ans, robuste et trapu, pas beau, mais avec un regard ardent et un esprit brillant. Il l’a reconnue immédiatement comme étant une ancienne camarade de la faculté des sciences politiques, où elle avait fini major de sa promotion en 1939. Que faisait elle maintenant ? Il voulait savoir. Elle lui parla de son travail et de ses contacts réguliers avec les Allemands. Lamarque avoua qu’il était en train de constituer un petit réseau qui récoltait des renseignements. “ Accepteriez-vous de travailler pour moi ?” demanda Lamarque. Elle répondit immédiatement oui. Rapidement, elle lui dit qu’il y avait certains bureaux et départements  à l’hôtel Majestic qui étaient hors cadre car les Allemands travaillaient sur des armes et sur des projets spéciaux. Elle pensait pouvoir avoir accès à ces domaines secrets. Et il en fut ainsi. Lamarque l’introduisit dans son petit réseau, connu sous le nom de “Druides”, il lui donna le nom de code de “Amniarix”. Il n’y avait plus qu’à récolter les informations. « Ce fut très simple » dit elle. « J’ai utilisé ma mémoire. J’ai connu tous les détails en ce qui concernait les plans et les installations en Allemagne. Nous développions  nos connaissances sur ce qu’ils avaient et sur ce qu’ils faisaient, nous avions un œil sur leurs actions ». Et n’était ce pas dangereux ? La chance lui a souri, elle rencontra rapidement des officiers allemands qui avaient été ses amis à Dinard. Des gens qui ne pouvaient pas imaginer qu’elle pouvait un jour faire quelque chose de mal. Ils travaillaient à présent sur des projets secrets, et ils la présentèrent à leurs amis.

En 1943 Jeannie entendit les informations les plus sensibles – les histoires d’armes spéciales qui étaient en construction en Allemagne orientale. Elle cru bien être tombée sur un des plus grand secret de la guerre. “J’ai compris que c’était très sérieux. Ce fut aussi l’opinion de Georges. Il m’a dit, continue, ne laisse pas le fil se couper. Comment les a t’elle fait parler? Pourquoi ces officiers aguerris, responsables de la mise au point d’armes susceptibles de changer le cours de la guerre ont-ils trahis le secret auprès d’une jeune fille de 23 ans ?

Elle insiste pour dire qu’elle n’a jamais joué les “Mata Hari”. Elle n’a jamais échangé du sexe contre des informations. Au contraire, ce fut une question de finesse de sa part et de crédulité de leur part. Les officiers allemands constituaient un petit groupe, ils se rencontraient souvent le soir dans une maison de l’avenue Hoche. “J’y passais de temps à autre, je ne me souviens plus précisément quelle maison.” Ils buvaient et parlaient, souvent en compagnie de leur belle amie française qui parlait si bien l’allemand. Tous auraient aimé coucher avec, et probablement qu’ils l’aimaient d’autant plus qu’elle a toujours refusé. Ils parlaient librement de leur travail entre eux, et bien qu’ils ne s’adressaient pas directement à Jeannie, ils ne prenaient pas garde à sa présence. “ Je faisais partie des meubles.”, se souvient elle. « J’étais une si petite personne, assise parmi eux, et je ne pouvais qu’entendre ce qui se disait. Ce qu’ils ne disaient pas, je le leur soufflais ». Comment peut-on souffler aux forces d’occupation de révéler des secrets militaires ? Elle expliqua : “ je les taquinais, je me moquais, j’ouvrais de grands yeux étonnés, je leur disais qu’ils devaient être fous pour évoquer ces étonnantes armes nouvelles susceptibles de voler sur de longues distances plus vite que n’importe quel avion. Je continuais  ainsi : “Ce que vous me dites ne peut pas être vrai.” Je l’ai bien répété 100 fois. “Je vais vous montrer m’a dit un des Allemands. Comment ai-je demandé ?  Il m’a répondu : C’est ici sur cette feuille de papier !” Alors l’officier allemand montra un document expliquant comment entrer sur le centre d’essai de Peenemünde, les laisser-passer requis et la couleur de chacun. Jeannie avec sa mémoire photographique enregistra chaque mot dans sa mémoire. Ses amis avaient tellement confiance et étaient si avides de l’impressionner qu’ils lui montrèrent même des dessins des fusées.

Après ces séances avec ses amis allemands, Jeannie se rendait chez son chef Georges Lamarque (« Petrel »), dans un endroit sûr au 26 rue Faber, sur la Rive gauche près des Invalides. Elle s’asseyait à la table de la cuisine et transcrivait ce qu’elle avait entendu, mot à mot. “J’absorbais comme une éponge”. On ne me demandait pas de faire des commentaires où de comprendre. Par exemple, lorsque les Allemands faisaient référence à des fusées, elle n’avait aucune idée de ce dont ils parlaient. De telles fusées à long rayon d’action n’avaient encore jamais été construites.

En septembre 1943, Jeannie avait accumulé suffisamment d’informations sur les fusées V2 pour envoyer un rapport détaillé en Angleterre. Lamarque y joignit une présentation qui disait : « Ces informations peuvent sembler incroyables, mais j’ai une confiance totale dans ma source ». Le texte de son rapport figure dans le livre La guerre magique, par Reginald V. Jones, chef du renseignement scientifique britannique durant la guerre.

C’est mieux d’en donner un extrait, car c’est l’un des principaux documents de renseignement de la seconde Guerre Mondiale : “ Il apparaît que l’étape finale a été atteinte dans le développement d’une bombe stratosphérique d’un type entièrement nouveau. Cette bombe semble être d’un volume de 10 mètres cube et remplie d’explosifs. Elle serait lancée presque verticalement  pour atteindre la stratosphère aussi vite que possible. La vitesse initiale étant maintenue par des explosions successives. Les essais semblent avoir donné d’excellents résultats et c’est à ces succès qu’Hitler se référait lorsqu’il parlait d’armes nouvelles qui changeraient le cours de la guerre lorsque les Allemands les utiliseraient. “ (Un officier allemand) estime que 50 à 100 de ces bombes suffiraient à détruire Londres. Les aires de lancements seraient distribuées afin de détruire méthodiquement la plupart des grandes villes britanniques durant l’hiver.”

Jeannie se demandait si des officiels anglais importants recevraient jamais ses informations, ou s’ils comprendraient leur importance. Comme elle l’a écrit dans l’introduction du livre de Jones : “ Ceux qui ont travaillé en secret dans la peur constante – peur de l’indicible – étaient mus par l’obligation intérieure de participer à la lutte. Presque sans pouvoir, ils sentaient qu’ils pouvaient écouter et observer. Il n’est pas facile de décrire la solitude, la peur, les attentes sans fin. La frustration de ne pas savoir si les informations obtenues dans le danger seront transmises – à temps – et reconnues comme vitales dans une masse de courriers.”  Mais ses inquiétudes étaient vaines.  Jones imagina immédiatement les conséquences des découvertes de cet agent anonyme, les informations de Jeannie étaient sur le bureau de Churchill seulement quelques jours après leur arrivée en Angleterre. Elles ont aidé à persuader les Britanniques de bombarder Peenemünde et d’autre part elles ont aidé à se préparer contre la menace des missiles allemands.

Les rapports de Jeannie, enregistreur humain de renseignement, ont continué en 1944, ajoutant de nouveaux détails à propos du travail à Peenemünde. Elle voyageait au cœur de l’Allemagne avec ses amis industriels français, rapportant précisément ce qu’elle avait vu et entendu. Parfois, elle ne comprenait pas les concepts scientifiques utilisés par Werner von Braun et les autres scientifiques allemands, mais elle se comportait en fidèle enregistreur humain. C’est pourtant elle qui a réalisé un des plus grands exploits du réseau « Alliance ». Elle a réussi à accumuler de nombreuses informations sur les « armes secrètes » (V1 et V2) mises au point par les Allemands à Peenemünde. Le rapport très précis et détaillé qu’elle transmet en 1943 décide les Britanniques à bombarder la base de Peenemünde. Le bombardement effectué le 18 août 1943 avec près de 600 avions fit d’énormes dégâts et tua plus de 500 techniciens et experts retardant ainsi de plusieurs mois les attaques de V2 sur l’Angleterre

Lancement d’un V2 à Peenemünde.

Les Britanniques étaient si frappés par les rapports de Jeannie qu’ils décidèrent de la faire venir en Angleterre pour un “débriefing”. Une mission aérienne fut impossible car il n’y avait pas de pleine lune pour aider à la navigation du pilote, alors on planifia une mission maritime, peu avant le “D Day,” depuis Tréguier sur la côte bretonne. Mais l’agent français qui devait les conduire au travers des champs de mines fut capturé et l’opération fut découverte.

Dans son livre, L’Arche de Noé, Marie- Madeleine FOURCADE, une des chefs du réseau « Alliance », raconte les circonstances de l’arrestation de François LE BITOUX et de ses compagnons : Le 28 avril 1944, Élie DE DAMPIERRE « Berger », assisté du capitaine Émile HÉDIN « Castor », a rassemblé à Tréguier (Côtes-du-Nord) les trois résistants devant quitter la France. À 20 heures, un message personnel indique que l’opération Jeanneton aura lieu le soir même à minuit. Castor part aussitôt chercher François LE BITOUX qui doit les transporter tous les cinq en automobile jusqu’à Pleubian où l’un de ses amis, François MARGEAU, les prendra en charge pour leur faire passer les champs de mines qui barrent la zone d’embarquement.

Lorsqu’à la nuit tombée à Pleubian, François LE BITOUX frappe à la porte de MARGEAU, c’est un officier allemand qui vient ouvrir. Épouvanté, le vétérinaire perd contenance mais Amniarix qui parle couramment l’allemand demande calmement à l’officier où se trouve MARGEAU. « En face » lui répond l’allemand en claquant la porte. Berger décide alors de quitter le village. Laissant la voiture à la garde de Poisson-Volant et du docteur LE BITOUX dans un chemin, il part pour chercher une voie de repli avec Amniarix, Castor et Cactus. Un passant leur apprend que la villa de MARGEAU vient d’être réquisitionnée et leur indique sa nouvelle adresse. Le quatuor se dirige rapidement vers l’endroit indiqué mais, quelques dizaines de mètres plus loin, se trouve encerclé par six soldats allemands armés de mitraillettes. Les Allemands les emmènent vers la villa réquisitionnée où ils sont fouillés. Leurs papiers étant en règle, l’officier qui leur avait ouvert la porte demande à voir l’automobile et désigne Amniarix pour l’y conduire. Elle choisit de marcher le plus lentement possible en parlant bruyamment allemand pour alerter LE BITOUX et Poisson-Volant dans l’espoir qu’ils s’enfuiront. Alerté par les éclats de voix de la jeune fille, Poisson-Volant s’est enfui mais, se sachant reconnu, François LE BITOUX est stoïquement resté ne voulant pas, par sa fuite, provoquer des représailles dans la population de sa commune. Alors qu’ils sont emmenés par les Allemands vers une autre maison, Castor réussit à s’enfuir dans la nuit sous les rafales de mitraillettes. François LE BITOUX, Élie DE DAMPIERRE, Jacques COLLARD, François MARGEAU et Jeannie ROUSSEAU furent internés, interrogés et torturés à la prison Saint-Jacques de Rennes. Jacques COLLARD (ou André COLLARD selon les documents) sera identifié comme appartenant au service de renseignement « Alliance » et déporté au camp de Schirmeck. Il sera abattu avec 107 autres membres du réseau le 1er septembre 1944 au camp de Natzweiler-Struthof.

Les Allemands l’emprisonnèrent d’abord  dans la même prison où elle avait été détenue brièvement en 1940. Cette fois ci ses papiers étaient au nom de “Madeleine Chauffeur”. Curieusement, personne ne réalisa que c’était la même femme qui avait été arrêtée quatre ans plus tôt et relâchée. Jeannie cria son innocence à tous ceux qui purent l’entendre, disant qu’elle avait simplement accompagné les autres hommes. Elle portrait deux douzaines de paires de bas nylon, qu’elle avait prévu de donner en cadeaux à ses amis Britanniques lorsqu’elle serait à Londres.

Maintenant elle inventait rapidement une histoire de marché noir en Bretagne.  (“Fort heureusement ce fut un mauvais interrogatoire. S’il avait été meilleur, cela aurait été pire pour moi.”). Elle fut transférée brièvement dans une plus grande prison en banlieue parisienne, puis envoyée dans le principal camp de concentration nazi pour femmes à Ravensbrück.

Son parcours: Torgau, Königsberg et Ravensbrück sous le matricule 57661. Libérée le 23 avril 1945, rapatriée par la Croix Rouge.

Une prisonnière fougueuse, Jeannie, arriva à Ravensbrück le 15 août 1944. Ses papiers au nom de Madeleine Chauffeur, le dossier d’appartenance à un réseau d’espionnage a été envoyé séparément. Jeannie joua un tour à sa façon. Quand les officiers de la Gestapo lui demandèrent son nom, elle leur répondit Jeannie Rousseau. A l’évidence les nazis n’éclaircirent jamais la question. Jamais ils ne confrontèrent leur prisonnière avec son alias et jamais ils ne réalisèrent que cette femme était une espionne.

Le camp de concentration était un lieu sans espoir. Certaines femmes étaient là depuis un an ou plus, et certaines étaient à peine encore vivantes. Jeannie décida que c’était le devoir d’une nouvelle arrivante que de leur redonner espoir. “Nous savions que le débarquement en Normandie avait eu lieu. Avant ce jour, l’espoir était quelque chose d’irréel. Maintenant, c’était vrai. Les Alliés avaient débarqué. Ils étaient derrière nous. Ils arrivaient. Jeannie eut deux proches amies  françaises de la Résistance qui étaient arrivées avec elle. – Une comtesse nommée Germaine de Renty et une communiste nommée Marinette Curateau. Les trois jurèrent de ne rien faire pour aider la machine de guerre  nazie. Si elles étaient envoyées dans un camp de travail elles organiseraient une protestation. Jeannie et 500 autres prisonnières françaises furent bientôt envoyées dans le camp de travail de Torgau afin de fabriquer des munitions. En accord avec son serment, Jeannie refusa. Elle alla trouver le chef de camp, un Allemand rondouillard, et lui parla en utilisant son meilleur allemand. Les femmes étaient prisonnières de guerre et la Gestapo n’avait pas le droit suivant les conventions de Genève à les forcer à fabriquer des munitions. Les autres femmes suivirent son exemple et déclarèrent qu’elles refusaient de fabriquer des munitions. C’était un geste de défiance fou, mais peut être à cause de cela même, il réussit en élevant l’esprit des autres prisonnières. (“Nous étions si puériles, mais nous étions là bas.”)

Après sa protestation, Jeannie a été renvoyée à Ravensbrück afin d’y être interrogée. “J’aurais dû mourir à ce moment là, mais les Allemands ne trouvèrent pas de dossier concernant Jeannie Rousseau. Parce qu’il n’en n’existait pas. (« Ils m’ont demandé pourquoi j’avais été envoyée à Ravensbrück, et j’ai répondu, que je n’en savais rien !”) La Gestapo conclut que qui qu’elle put être, elle était une fauteuse de troubles. Alors, papiers ou pas papiers, ils envoyèrent Jeannie et ses deux consœurs au camp disciplinaire de Königsberg à l’Est. Ce qui était un endroit très désagréable, ajouta t’elle le visage hanté par les souvenirs. Très dures conditions de travail, les femmes travaillaient dehors dans la neige glaciale, transportant des pierres et du gravier pour construire un aérodrome. Ils rentraient au camp à la nuit, frigorifiés, pour un repas chaud composé d’une soupe. La soupe était contenue dans de grands récipients gardés par la gardienne chef, une grosse bête que les françaises appelaient la “Vachère”, ou “the cowgirl”. Elle accablait les prisonnières affamées en renversant d’un coup de pied le récipient de soupe dans la neige et en se délectant ensuite du spectacle des prisonnières cherchant à récupérer des résidus de nourriture dans la boue.

Même dans ce camp disciplinaire, Jeannie continua à se battre. Elle décida que les chances des prisonnières de rester en vie seraient plus grandes si on savait à l’extérieur qu’elles étaient toujours en vie. Elle organisa un recensement à l’intérieur du camp, relevant le nom de plus de 400 femmes, elles les inscrivirent sur des petits bouts de papier qui furent passés au travers des barbelés à des prisonniers français dans un camp voisin. D’une manière ou d’une autre, les Français firent parvenir la liste à la Croix-Rouge en Suisse. La santé de Jeannie se détériorait. Au cours de ce terrible hiver 1944-1945, les gardes allemands arrosaient Jeannie et d’autres prisonnières chaque matin, puis les forçaient à rester debout nues dehors jusqu’à ce que l’eau devienne de la glace, alors elles pouvaient rentrer à l’intérieur.

Elle savait que si elle restait à Königsberg, elle ne survivrait pas. Elle mit au point un plan d’évasion bizarre. Des femmes du camp de Königsberg avaient contracté la typhoïde, un camion devait partir bientôt pour les conduire à la chambre à gaz à Ravensbrück. Jeannie et ses deux amies françaises montèrent dans le camion. Elles voyagèrent presque deux jours sans manger. Lorsque le camion atteignit la grille de Ravensbrück, il s’arrêta quelques minutes avant d’aller vers la chambre à gaz. Jeannie et ses amies attendirent que les gardes ne les voient pas et elles quittèrent le camion. Leur problème maintenant était de pénétrer en fraude dans le camp de Ravensbrück (elle rit – est ce imaginable ?) et d’essayer de disparaître à l’intérieur du camp. Une fois à l’intérieur du camp, elles se précipitèrent vers la baraque N° 22 où étaient détenues les prisonnières françaises. Elles avaient besoin d’aide désespérément. Sans un matricule de prisonnière, elle n’aurait accès ni à la nourriture ni à un toit. Leurs compatriotes acceptèrent de les loger, mais seulement pour une nuit.  Après cela, Jeannie et ses amies allèrent à la baraque des Polonaises, où elles furent nourries et abritées pour quelques jours, jusqu’à ce qu’un informateur les dénonce à la Gestapo. Alors, il semblait bien que leur chance les avait quittées. Elles furent toutes les trois mises dans la prison du camp de Ravensbrück où elles subirent des interrogatoires sévères. (“Toutes trois, nous racontâmes dix histoires différentes. J’en ai bien raconté deux ou trois.”) « Nous fûmes détenues avec demi-ration, et astreinte au nettoyage des latrines si nauséabondes et à d’autres travaux terribles ». A ce moment, Jeannie fut très malade, atteinte de tuberculose, elle ne dû sa survie qu’à l’aide d’un courageux médecin tchèque. Alors qu’elle était en train de mourir, la Croix-Rouge internationale arriva un jour à Ravensbrück. Un officiel suisse à lu une liste de prisonnières libérables. Cela ressemblait à l’instant de la délivrance, car la liste contenait certains des noms qu’elle avait plus tôt transmis à l’extérieur. Elle entendit son nom depuis sa cellule et courut à la porte pour répondre présente. Mais les gardes la bloquèrent. Pas de libération humanitaire pour elle.

La délégation de la Croix-Rouge quitta le camp. Jeannie savait qu’elle ne survivrait pas de nombreuses semaines. Ses derniers espoirs semblaient s’être envolés. Mais il y a parfois des secondes chances, même dans cet univers de nuit et brouillard. Quelques jours plus tard, la Croix-Rouge suédoise visita le camp. Il y avait une autre liste de prisonnières et Jeannie imagina que son nom serait sur cette liste. En dépit des effets délétères du camp et de sa maladie, elle surmonta son envie de crier sur la garde nazie qui la gardait. « J’ai réalisé que je devais l’intimider », se souvient-elle. « Je savais que c’était ma seule chance. Alors je lui ai dit, “Vous allez avoir de gros ennuis après la fin de la guerre. Ils savent que je suis ici. Ils vous chercheront, ils vous trouveront et vous puniront. » La férocité de ces mots de la part d’une demi-morte effrayèrent la garde. Inquiète pour son propre sort, elle permit à Jeannie et à ses deux amies de partir avec les Suédois. Jeannie se souvient des heures qui suivirent comme d’un rêve lointain ; hors de la prison, passé les chiens et les fils de fer barbelés  pour monter dans les bus suédois qui les conduisirent à la frontière danoise, puis un train pour Copenhague avec des officiers danois pour les protéger de la Gestapo, et pour finir un bateau pour la Suède. Quand Jeannie enfin atteignit la sécurité, elle s’évanouit. Elle reconnaît qu’à cette époque elle pesait un peu plus de 33 kg. Lorsqu’elle reprit conscience, elle demanda au docteur suédois de câbler à ses parents qu’elle était encore vivante. Le docteur fit remarquer : “ne leur donnez pas un espoir prématuré.” Après une opération à risques des poumons, elle commença une longue période de convalescence. C’est à cette époque que dans un sanatorium dans les montagnes françaises elle rencontra son mari qui avait survécu à Buchenwald et Auschwitz.

Jeannie essaya de reprendre sa vie après la guerre. Elle employa son don pour les langues en tant qu’interprète aux Nations-Unis et dans d’autres organisations internationales. Elle évita la plupart des reporters et des historiens, mais elle accepta une médaille spéciale du directeur de la CIA James Woolsey en 1993. Woolsey avait entendu parler de ses exploits par Réginald Jones qui croyait qu’elle incarnait ce qu’était l’espionnage réel, de  l’intelligence humaine. La citation de la CIA la louait pour son espionnage brillant et réel et pour son courage qui inspire le respect. « Le réflexe du héros » : il est presque 2 heures du matin lorsqu’elle termine son récit et elle est épuisée par les  efforts fournis pour se souvenir. Mais le lendemain matin, elle paraissait radieuse. Son visage était empreint d’une sérénité qu’il n’avait pas la veille. Plus de cinquante ans se sont écoulés. La guerre est finie, et les années d’oubli qu’elle s’est imposée sont passées aussi.

Pourquoi a t’elle fait ce qu’elle a fait ? C’est la question qui persiste à la fin du récit remarquable de Jeannie. D’où lui est venu son courage ? Qu’est ce qui a fait d’elle un héros quand tant d’autres ont été lâches ? Quand Lamarque lui a posé cette question dans le train, pourquoi a t’elle immédiatement dit oui ? Pourquoi a-t-elle risqué sa vie alors qu’elle aurait pu vivre confortablement à Paris ? Jeannie se moque. Quelle question me posez-vous là ? « Je l’ai fait, c’est tout », dit elle. «  Ca n’était pas un choix, c’est ce qu’on a fait. A cette époque, nous étions tous persuadés de mourir. Je ne comprends pas la question. Comment aurais je pu ne pas le faire ? Et c’est sa réponse. L’héroïsme n’est pas une question de choix, c’est une question de réflexe. C’est une propriété du système nerveux, pas de la conscience. Si Jeannie Rousseau avait du réfléchir à ce qu’elle devait faire, elle aurait sans doute rejoint les millions de ceux qui n’ont rien fait.

Distinctions :

Le 28 octobre 1996, elle a reçu les insignes de commandeur de la Légion d’honneur qui lui furent remis par Germaine Tillion.

En 2009, elle a été élevée à la dignité de Grand Officier de l’Ordre national de la Légion d’Honneur

SOURCES http://memoiredeguerre.pagesperso-orange.fr/biogr/clarens-rousseau.htm- SHD Vincennes- Copyright 1998 The Washington Post Company- Arche de Noé MM Fourcade.

Les amis de la fondation de la résistance

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